Une lettre de désamour
Montréal, 6 juillet 2013
Je voudrais, par cette lettre, mettre un point final, chose assez difficile, à une histoire d’espoir, d’illusion, d’amour… puis de désamour.
Vous savez, quand on a vécu en dictature, on idéalise la démocratie, même celle du Big Brother dans laquelle nous vivons actuellement.
Argentin, juif, d’origine polonaise, ayant vécu en Argentine sous la dictature des militaires et au Chili sous la dictature de Pinochet, ayant été étouffé, blessé ou ayant disparu, je cherchais ma terre promise, moi qui vivais comme un juif dans la diaspora.
Voilà que j’ai dû immigrer au Canada, pour une meilleure vie, et ma vie a changé, mes moyens financiers aussi.
Quand je suis arrivé au Québec, je pensais y trouver ma terre promise et la liberté et le bonheur, non rencontrés ailleurs. Je pensais qu’ici j’aurais des moyens pour faire fleurir mon art et mon humble personne.
Je ne savais pas encore que la terre promise n’existe pas, c’est un idéal.
Pendant les années d’intégration à mon nouvel habitat, j’ai travaillé, travaillé, travaillé. Et dans les heures obscures de la nuit, j’écrivais, je faisais du design, je ramassais de vieilles et de nouvelles histoires, j’étais en train de réaliser un journal d’artiste dans lequel, mélangeant temps et situations, je racontais mon histoire d’immigration. Une histoire de désolation, de discrimination, mais aussi d’espoir. Que ferions-nous sans l’espoir?
De nouveaux temps sont arrivés, et aujourd’hui je suis dédié à temps complet à mon art. Moi, qui avais choisi la liberté, de ne pas vivre de mon art, de ne pas me commercialiser, de ne pas entrer dans la sacrée chapelle du succès social, longtemps j’avais dû attendre pour m’y consacrer.
Je construis cette œuvre avec mon propre effort et la solidarité d’amis de la diaspora. Mais j’ai vite réalisé que la solidarité n’existe pas, ici, dans cette société où tout doit se payer.
Alors, je me suis dit d’aller chercher l’appui de l’État, des organismes d’appui à l’art. Je commençais à chercher l’argent pour faire mon journal, puis pour le publier; je ne le trouvais pas. Quatre, cinq, six demandes ont été faites, une seule réponse, de refus, sans en donner les raisons. Quelqu’un, un fonctionnaire du Conseil des arts du Québec, m’avait dit : votre projet, tout en étant assez personnel, trouverait difficilement du financement. Réponse assez bizarre. J’ai fini par emprunter l’argent, 2 000 dollars, j’en ai récupéré 250, grâce à l’achat d’un exemplaire par La Bibliothèque Nationale de Québec et la satisfaction de l’avoir fait après dix années de travail.
J’ai eu l’appui du Montréal arts interculturels (MAI). Ils m’ont prêté la cafétéria pour le lancement de mon journal (200 dollars). J’ai pensé à ce moment-là que peut-être les choses allaient commencer à changer pour moi et mon art.
J’ai compris que je n’obtiendrai jamais une bourse ou une place dans votre système, je suis un marginal, je ne sers pas vos intérêts.
J’ai compris à la fin que je n’ai pas besoin de vous pour continuer à produire mon art. Je fais de l’art parce c’est un besoin, je le fais par VOCATION, non pas par professionnalisme. Vous, les organismes, les fonctionnaires, les commissaires et les artistes, qui jouez votre jeu, vous êtes des professionnels. Pas moi, je déteste le mot professionnel dans l’art.
Je suis sincèrement déçu de cette démocratie des élites, de votre manque de clarté, d’autant de bureaucratie, d’autant de mensonges et d’hypocrisie, peut-être suis-je très sensible à l’injustice.
Voilà qu’il y a des universités qui offrent des cours pour apprendre à présenter une demande et il y a ceux qui se spécialisent dans cette affaire et chargent des honoraires. Je vous questionne, car je dénonce la façon que vous avez de nous aider, c’est du paternalisme et de la manipulation dans la création artistique. Vous êtes des organismes anachroniques et oligarques.
Et comme dit le boléro :
Je doute, je doute...
Que vous allez trouver un amour plus pure,
que celui que vous avez en moi.
Vous trouverez mille aventures sans amour,
mais pas illusion sincère,
comme celle que je vous donne.
Sincèrement,
José Szlam
Voilà, ma lettre de désamour.